Jean-Claude Chollet, 78 ans aujourd’hui, a fait toute sa carrière chez Messier. Titulaire d’un BTS Aéronautique, il est rentré à l’usine de Montrouge le 12 septembre 1966. Il a fait un peu de copeaux puis a intégré le service Méthodes. Après son service militaire, Jean-Claude est revenu à Montrouge au Bureau d’Études au service Fiabilité créé par Michel Boucher. Il est passé cadre en 1989, toujours à la fiabilité où il a terminé sa carrière en 2004 comme ingénieur en Sûreté de Fonctionnement, après des formations CNAM en fiabilité et statistiques.
Quelles étaient tes missions à la fiabilité ?
« Il y avait deux aspects : le premier concernait des études statistiques. On recensait toutes les pannes sur avion, tout ce qui était réparé dans les usines ou chez les avionneurs, équipement par équipement, avec un récapitulatif mensuel des incidents.
L’autre aspect concernait des études permettant la certification des avions. On décortiquait chaque équipement, analysait tout ce qu’il pouvait y avoir comme pannes et leurs conséquences afin de voir si cela tenait dans les probabilités prévues.
À l’époque la fiabilité avait regard sur l’ensemble des produits, atterrisseurs, systèmes, roues et freins, avant la division Messier-Bugatti/Messier-Dowty où je me suis retrouvé muté à l’hydraulique Messier-Bugatti. »
Ah oui, je me souviens du partage des équipes, c’était un peu du pile ou face, tu tombais d’un côté ou de l’autre.
Quelles étaient les pannes les plus fréquentes ?
« Les fuites de liquide hydraulique, les problèmes électriques (charbonnage des contacts, perte de continuité) et aussi la casse de ressorts de traction. »
Jean-Claude a quitté Messier-Bugatti en 2004, avant la fusion atterrisseurs-systèmes roues et freins, profitant d’un plan de départs à 58 ans.
Extraits du bulletin interne d’informations Messier de l’époque
Tu as donc connu Vélizy mais tu t’es éloigné des usines ?
« Oui. Effectivement à Montrouge nous étions déjà rattachés au Bureau d’Études mais la réparation des équipements se faisait à côté et je pouvais assister aux expertises. Ensuite nous avons eu peu à nous déplacer. »
Nota : la fiabilité a longtemps été un vivier de cadres supérieurs appelés aux plus hautes fonctions de direction chez les Messier.
38 ans de carrière chez Messier, tu as forcément un tas d’anecdotes à raconter, pourrais-tu nous en confier quelques-unes ?
« J’en ai pas mal concernant le Concorde, dont le train principal était fait par Hispano-Suiza. J’ai vu par exemple des plans d’essieux télescopiques permettant d’écarter les roues du bogie à l’atterrissage, puis de les resserrer avant la rentrée en soute. Cette conception n’a jamais vu le jour. »
On se souviendra en effet que le fameux aéroport de La Guardia à New-York contraindra plus tard Messier à réaliser une version voies élargies (ou empattement allongé ?) des bogies d’Airbus A300-600 pour réduire la charge sur le tarmac, mais à notre connaissance, Concorde n’a jamais été à la Guardia, se posant à JFK.
« Autre projet qui n’a jamais vu le jour sur Concorde : récupérer les fuites sur les tiges de vérins de manoeuvre en mettant un deuxième joint et un circuit de retour de fuite entre les deux joints.
Une innovation a été la première commande de recopie d’orientation électrique sur le train avant du Concorde. Il y avait un calculateur qui comparait l’ordre électrique d’orientation transmis aux vérins d’orientation avec le système de recopie qui renvoyait un ordre électrique, alors que sur les avions d’alors la recopie était mécanique.
Une autre innovation du Concorde a été la commande électrique des freins via un contrôleur de freinage SPAD (Système Perfectionné Anti-Dérapant). C’était l’ancêtre du BSCU.
Concorde a été aussi le premier avion avec des freins sur les roues avant, destinés à freiner celles-ci avant la rentrée de train afin d’éviter des vibrations en soute de roues tournant à grande vitesse.
À noter que concernant le Concorde, nous recevions les informations sur les vols avion par avion, et quand le Président François Mitterrand se déplaçait en Concorde, il y avait un deuxième avion qui suivait au cas où le premier tombe en panne.
J’ai eu aussi connaissance d’un projet de vrai frein sur l’atterrisseur avant du Rafale A qui n’avait qu’une roue à l’avant, afin de permettre le posé sur des pistes raccourcies. Cela n’a jamais vu le jour non plus.
Sur Mercure il y avait un témoin mécanique de sortie de train avec un doigt qui sortait sur l’extrados de voilure. Lors d’un vol de nuit suite à un problème de sortie de train, l’équipage a éteint la cabine et est venu voir avec une lampe s’il voyait les témoins à travers les hublots, au milieu des passagers.
L’effet Jaguar sur Mirage F1 : un atterrissage dur pouvait provoquer des surpressions dans les circuits hydrauliques, entrainant le déverrouillage de la contrefiche du train avant et l’avion posait son nez sur la piste … L’incident, apparu sur Jaguar, s’est reproduit sur Mirage F1. »
Jean-Claude est intarissable et aurait encore bien des anecdotes à raconter, peut-être au micro lors d’un repas de fin d’année ?
Patrick Germain pour l’ACAM